Carnet de balades

Merci les voyageuses

26 mars 2025

Dans son édito du 286e numéro de la Revue Salamandre, Julien Perrot explique à quel point le monde sauvage offre un recul radical sur les soucis du quotidien.

Est-ce que cela ne vous arrive pas aussi quelquefois ?

Une journée chahutée, des réunions qui s’enchaînent, une tête complètement saturée. Au moment de sortir du bureau, je ne suis plus qu’un zombie gris sous le brouillard, dans le halo blafard des lampadaires. Et là, j’ai un sursaut de vie. Plutôt que de m’engouffrer dans le bus pour coller mon nez à un écran hypnotique, je marche d’un bon pas jusqu’à la gare. Mais cela ne suffit pas à me réanimer. Dans le train, je m’effondre sur un siège et rentre dans ma bulle.

Par miracle, je ne rate pas mon arrêt. Je sors, marche le long du quai, impatient de retrouver les miens… quand tout à coup un cri étrange résonne au-dessus de moi. Je lève le nez vers le ciel, mais il n’y a rien d’autre à voir qu’une épaisse purée de pois. Pourtant, la trompette continue ses appels, complètement hors contexte. Il me faut quelques secondes pour comprendre que ce que j’entends là, ce sont des grues cendrées ! Des grues invisibles qui traversent le smog, des pendulaires elles aussi qui décrivent chaque automne et chaque printemps de grandes oscillations célestes.

C’est un homme ragaillardi qui arrive à la maison quelques instants plus tard. Car ce clin d’œil sauvage m’a offert un recul radical sur mes petits soucis du jour. J’imagine les grands oiseaux en V dans le ciel, les brumes qui les déroutent, les estomacs vides, l’urgence d’une escale aussi vite que possible.

Bon voyage, et merci les grues de m’avoir ainsi relié à la beauté du monde.

Auteur : JULIEN PERROT

Édito publié dans La Salamandre : L’appel des grues, février-mars 2025, 286